Edition

Paris Haussmann

Modèle de ville

2017

« Faire ville »

Face aux défis physiques, sociaux et écologiques posés aujourd’hui par les villes, les acteurs de l’urbain explorent de nouveaux concepts, de nouvelles méthodologies et de nouvelles formes d’organisation. Nous assistons ainsi à l’émergence d’une profusion de consultations, de concours et de projets, ouvrant la voie à une expérimentation tous azimuts, stimulante et féconde.

Si ces expériences se fondent sur des intentions presque toujours louables, elles ont pourtant du mal à opérer une rupture radicale avec l’aménagement de zoning ou l’accumulation d’objets esseulés et peinent, en conséquence, à fournir des réponses pleinement convaincantes. Les critères d’organisation spatiale restent très proches de la planification, en dépit du constat que la ville envisagée comme un plan poursuit le rêve d’une ville idéalisée, hors de la réalité.

Auteurs

LAN : UMBERTO NAPOLITANO, BENOIT JALLON
FRANCK BOUTTÉ

Photographies

CYRILLE WEINER

Editeurs

PARK BOOKS (ÉDITION ANGLAISE)
PAVILLON DE L'ARSENAL (ÉDITION FRANÇAISE)

Nombre de pages

263

Graphisme

UNDO REDO

Cette réalité aujourd’hui sous nos yeux nous indique que le problème n’est pas la qualité de chacune des architectures, mais plutôt la carence d’une vision d’ensemble. Dans les nombreux nouveaux quartiers qui se construisent un peu partout en Europe depuis vingt ans, beaucoup de constructions intéressantes se succèdent et se côtoient, sans pour autant réussir à créer une identité propre ni à intégrer celle des lieux qui les accueillent.

Ce qui est questionné aujourd’hui n’est pas notre aptitude à construire et à répondre aux injonctions quantitatives de toutes sortes, mais notre génie à « faire ville » et à « faire sens ».

Le sens de la ville comme lieu de la vie collective s’élabore sur des valeurs partagées. Tandis que certaines de ces valeurs, dont la densité, la résilience, la sobriété, la connectivité ou l’appropriation, paraissent faire consensus dans la pratique actuelle, d’autres idées semblent parfois omises dans les réflexions et les expérimentations urbaines, telles l’importance de la forme, de la texture et du tissu, le caractère endogène, local et la spécificité des villes, la transversalité comme garant de réponses cohérentes, équilibrées et polyfonctionnelles, la transcalarité ou conscience d’un héritage de l’amont et d’une responsabilité sur l’aval, la synergie et la mutualisation – formes passives et version sobre de la connectivité –, la flexibilité et la réversibilité – formes premières de la résilience – et, enfin, la lisibilité et l’identité, vectrices de l’appropriation réelle.

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Pourquoi Paris ?
Pourquoi Haussmann ?

À l’instar de Joël de Rosnay qui appelait en 19751 à la définition d’un nouvel outil pour observer et comprendre l’infiniment complexe, il nous semble opportun de développer un instrument de fabrique urbaine, à la fois conceptuel, méthodologique et opérationnel, pour mettre en musique ces différentes valeurs et répondre à cette exigence de « faire ville ».

À la question « Citez un modèle de ville durable ou de bâtiment durable », que répondrions-nous ? Très certainement, pour la ville, irions-nous chercher du côté du nord de l’Europe ou au Canada (avec Vancouver) et, pour le bâtiment, irions-nous puiser dans les projections idéalisées d’archétypes de bâtiments écologiques : une construction à 100 % en bois, un bâtiment qui produit son énergie et recycle son eau, un immeuble sur lequel pousse une végétation luxuriante ou qui produit la nourriture nécessaire à ses occupants, etc.

À l’origine de sa constitution se trouvent l’œuvre et la pensée d’un personnage central : le baron Haussmann. Préfet de la Seine, il opère de 1853 à 1870 une complète reformulation des fondements de la ville selon les valeurs de la modernité au XIXe siècle. Au regard de l’ampleur du tissu concerné (75 % du bâti) et de la rapidité des travaux (une vingtaine d’années), son intervention – avec ses prolongations – peut sans doute se lire comme le projet d’une ville nouvelle, entièrement planifiée et dessinée.

Cette lecture du tissu parisien pose directement la question d’un modèle sous-jacent au projet haussmannien et de ses caractéristiques.

Après observation, il apparaît en premier lieu que la création simultanée des infrastructures et des superstructures de la ville a produit un réseau d’une efficacité remarquable. Ce système ouvert et évolutif met en relation la ville du dessous avec celle du dessus, pour les habitants comme pour les ressources. Et si le maillage trouve sa principale raison d’être dans l’amélioration des circulations et des flux de diverses natures – piétons, véhicules, air, troupes armées, etc. –, Paris est aujourd’hui l’une des villes les plus « marchées » d’Europe, c’est-à-dire que les déplacements piétonniers y sont les plus importants en pourcentage de parts modales.

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Corpus et méthodologie

C’est au moyen d’une décomposition, d’une classification puis d’analyses comparatives que nous avons décrypté, en regard des problématiques actuelles, les propriétés du tissu haussmannien.

Le corpus d’étude est le Paris haussmannien entre 1840 et 1914 et son évolution jusqu’en 2016. Quand il était nécessaire, pour approfondir certains propos ou établir une logique d’ensemble, la période et le rayon d’étude ont été élargis : de 1840, qui marque les premières interventions urbaines à visée hygiéniste par le préfet Rambuteau, jusqu’à la Première Guerre mondiale en 1914, puis à l’avènement du Mouvement moderne et au début de la reconstruction. Le matériel observé est considéré sans a priori : délibérément extrait de son mode de production à la fois social et économique, il est volontairement déconnecté de ses contingences historiques et politiques.

L’analyse typo-morphologique opérée par classification selon le dimensionnement et les caractères endogènes de ce patrimoine est comparable au travail d’un entomologiste ou d’un archéologue. Le corpus est ainsi appréhendé par le dessin et la classification afin de déceler les règles et de révéler les invariants qui en régissent la forme, tandis que l’analyse dimensionnelle et comparative cherche à en restituer la logique et l’efficience.

Ce travail mené à toutes les échelles – tracés urbains, îlots, immeubles, jusqu’au langage ou vocabulaire de composition des bâtiments – révèle la logique fractale qui gouverne la fabrication de la forme urbaine haussmannienne.