Article
Wagah Border
Une histoire de frontière à l’ère post-COVID 19
2020
La ligne Radcliffe est la ligne de partition entre l’Inde et le Pakistan, elle est devenue, à l’indépendance de ces deux pays en 1947, leur frontière commune. Du Gujarat au Siachen, elle est très fortement militarisée et est le lieu d’affrontements plus ou moins violents. Sur les 3000 km de frontière qui séparent l’Inde et le Pakistan, Wagah-Attari est l’un des deux seuls Joint Check Point.
Point de passage terrestre, Wagah incarne les relations entre le Pakistan et l’Inde, c’est régulièrement le lieu de gestes politiques bilatéraux entre les deux gouvernements. C’est aussi le lieu d’échanges de prisonniers, civils ou militaires, capturés pour violation de territoire.
Depuis 1959, chaque soir au coucher du soleil, un même rituel militaire rythme la journée des forces de sécurité des deux camps : les drapeaux des deux pays sont abaissés à l’unisson, les gardes-frontières de chaque côté entament une série de manœuvres élaborées et mises en scène. Ces chorégraphies réglées jouent en même temps la rivalité et la coopération entre les deux pays.
En 2000, l’office du tourisme indien décida de profiter de ce spectacle en transformant Wagah en attraction touristique dédiées à ces cérémonies militaires. Un gradin, en forme de U, fut alors édifié à proximité du « point 0 ». Par réaction, les autorités pakistanaises firent de même, et construisirent une grande tribune de l’autre côté de la frontière. Depuis maintenant 20 ans, les touristes et les curieux de tous bords prennent place, chaque jour à la levée des gardes-frontières, dans ce stade dépareillé, construit de part et d’autre des barbelés.
Auteur
UMBERTO NAPOLITANO
Parution
IL FOGLIO - 17 JUIN 2020
Tout cela est une histoire d’architecture.
Les deux édifices qui se font ainsi face sont des compositions post-modernes, de piètre qualité, assemblant chacune le gradin et la porte. Côté pakistanais, l’entrée est traitée à la manière d’un pishtak flanqué de ses deux minarets, à l’intérieur, un portrait de Mohammad Ali Jinnah est supporté par une série de faux arcs plein ceintre et polylobés ornant la tribune officielle. De part et d’autre du corps central partent les gradins à 45°. Côté indien, les bâtiments sont plus imposants. Un certain nombre d’éléments ornementaux évoquent l’architecture indo-musulmane, simili pagode, bulbes, arcs polylobés…
L’art du bien construire est ici supplanté par celui de définir des limites. L’intérêt du lieu tient en effet davantage en la formalisation d’un geste d’« entourement » qu’à sa mise en œuvre effective. Ces formes non coordonnées, sont venues, spontanément, contenir un épaississement symbolique de la frontière, rendant visible sa bilatéralité et donc la reconnaissance de l’autre.
L’espace est scindée par une double grille au milieu de laquelle passe la frontière invisible. L’architecture, en donnant des des limites à la limite, rend possible sa célébration ambigüe : que nous disent la chorégraphie des corps et le respect du protocole ?
Dans sa neutralité, elle ne semble servir que l’événement. Stade sans terrain, on pense au sambodrome de Niemeyer. L’architecture ne fait qu’un avec une cérémonie, qui sitôt passée la vide. Reste la géométrie, la matière et le temps, en un mot : le monument.