« La forme perdure et préside à la construction dans un monde où les fonctions se modifient constamment, et, à l’intérieur de la forme, la matière se modifie »
Aldo Rossi, Autobiographie scientifique
« La forme n’a ni contour ni dimensions. (...) La forme, est le “quoi”, la conception le “comment”. La forme est impersonnelle. La conception est le fait d’un auteur. La conception est un acte lié aux circonstances »
Louis Khan
Quelles que soient les contraintes, les programmes et les lieux, un architecte doit en effet choisir une forme – et cette forme est la solution, la synthèse à la fois ultime et initiale des conditions qu’il a choisi de définir comme postulats et fondements du projet. Le choix de la forme est probablement le premier acte créatif de l’architecture, celui à partir duquel tout se construit, celui qui modifie et urbanise la nature.
L’urbanité devient en effet une conséquence de cet acte : de la caverne à l’abri, de la maison aux tissus urbains les plus complexes, la finalité de l’architecture est celle d’urbaniser. L’architecte devient donc un « créateur de formes d’urbanité ». Une fois la forme choisie, la complexité réside dans le fait qu’elle n’est jamais figée, mais perpétuellement en mouvement et en devenir. Paul Klee affirmait « Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n’est qu’une maligne apparition, un dangereux fantôme ».
Second acte créatif de l’architecture : imaginer le mouvement.
Il s’agit de considérer le projet non comme une réponse à une problématique ou à une nécessité, mais comme le point de départ d’une narration, comme un outil qui permet de traduire une vision, et formuler un pari qui dépasse largement le client ou la fonction, et qui s’adresse à ce continuum construit qui est la ville, notre ville. L’architecture doit ainsi créer des formes en mouvement, qui permettront de faire survivre le bâtiment au-delà de la fonction pour laquelle il a été construit initialement. Cette recherche est au coeur du processus de conception, à la croisée des programmes et des territoires. Elle s’exprime dans les logements de Bègles à travers le vide, à Clichy Batignolles dans l’intelligence même d’une forme dont la flexibilité d’usage est poussée au maximum, et dans un théâtre à Strasbourg offrant à la fois une structure forte, mais des murs qui bougent.
Les logements réalisés à Bègles, près de Bordeaux, ont été conçus dans le cadre d’une réflexion sur une typologie d’habitat combinant les qualités de la maison individuelle à celles du collectif. Il sont traversants, empilés en quinconce et séparés entre-eux par de grandes terrasses. Les masses bâties qui, à l’échelle urbaine, dessinent l’espace public, sont ponctuées par des vides qui constituent de véritables réserves foncières pour chacun des logements. La forme a donc ici la capacité d’évoluer à l’intérieur de son enveloppe pour répondre aux besoins des habitants et donc aux évolutions futures de ce nouveau morceau de ville.
Le bâtiment de 40 logements de la ZAC Clichy-Batignolles montre que cette approche permet aussi de s’inscrire dans l’histoire et dans l’identité d’une ville. Par son implantation en limite de la ZAC, il se trouve à l’interface entre un ecoquartier comme il s’en construit partout en France et un urbanisme haussmannien classique. A partir de recherche approfondies sur l’héritage de l’immeuble de rapport et ses valeurs, il s‘agissait d’augmenter les capacités de la forme pour qu’elle puisse évoluer et accueillir d’autres programmes. Le choix des dimensionnements, avec une trame entre bureaux et logements, et la conception d’un façade en grande partie vitrée et abritant la technique, ont ici permis d’offrir à ce volume une polyvalence durable.
Pour le théâtre du Maillon à Strasbourg, scène européenne où le mouvement est érigé en philosophie de travail, il s’agissait de proposer un outil architectural le plus ouvert possible. Le projet revisite le dispositif fonctionnel classique du théâtre, entre foyer, salle et coulisses, en un espace global dont la trame presque urbaine permet une liberté de configurations infinies. Le théâtre devient un immense open space où les différents éléments du programme peuvent évoluer indépendamment, comme dans une ville.