" Cher Alejandro,
Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses villes en France ont dû être reconstruites.
Il a fallu faire vite et grand. L’état s’est donc engagé massivement dans la construction de million de logements sous forme de « grands ensembles », plus communément appelés « cités ».
Le pays est gagné alors par les idées de Le Corbusier et du mouvement moderne, prônant une ville discontinue, hygiéniste, standardisée, et composée d’éléments indépendants immergés dans un système d’espaces publics et collectifs à disposition des habitants.
Cette forme d’utopie progressiste, projet social et architectural, a été suivie par un projet politique de l’habitat qui, malgré ses bonnes intentions, a fini par fabriquer des ghettos.
La réalité a vite rattrapé l’utopie et les valeurs du projet moderne sont devenues ses plus grands défauts: monofonctionnalisme, ségrégation, lieux de l’indéfini, isolement.
La situation était tellement hors contrôle qu’en 1973 par la circulaire « relative aux formes d'urbanisation » dites « grands ensembles » et à « la lutte contre la ségrégation sociale par l'habitat », l’état même a signé l’arrêt de mort de cette politique urbaine.
La plupart de ces lieux sont aujourd’hui des territoires critiques où règnent « la loi du plus fort », avec des lois et des logiques propres, des formes d’états dans l’état.
Sais-tu que les 50 quartiers les plus sensibles de France sont des grands ensembles ?
Qui pourrait d’ailleurs oublier les émeutes de 2005 ?
L’architecture est-elle responsable de cet état des lieux ?
Pas totalement mais surement en partie.
Que faire donc des « grands ensembles »? est une question à l’ordre du jour aujourd’hui.
Quelle stratégie, à part la démolition, pourrait faire évoluer ces quartiers vers d’autres scenarios que ceux que nous vivons actuellement?
Quels seraient les aspects positifs de ces formes d’urbanisation sur lesquelles appuyer les bases d’une transformation? Peut-on inverser la tendance ? Jusqu’à considérer ces territoires comme un patrimoine, une ressource ?
Des réponses très pragmatiques ont déjà été tentées, avec à la base l’idée de privatiser au maximum les espaces. Les unités d’habitations se sont progressivement fractionnées, et l’espace public a suivi la même logique : découpages, hiérarchisation plus progressive du public et du privé, réduction des espaces collectifs mal utilisés.
L’écueil de ce processus tient dans son postulat. Il est un appauvrissement des espaces partagés, une privatisation homogène du sol, à l’encontre du principe même des grands ensembles : le plan libre.
Le projet du quartier Génicart tente de concilier le découpage et le plan libre, partant des choses positives de ce model urbain pour bâtir une nouvelle identité.
Profitant de chaque occasion offerte par la nécessité d’intervenir sur les bâtiments de ce quartier, le projet suit une stratégie d’ensemble visant à la fois à rendre lisible des nouveaux ilots à travers un traitement architectural singulier, tout en gardant à travers le paysage une approche plus publique, ouverte, jardinée et paysagère, où de nouveaux espaces verts, programmés et identifiés, transforment totalement le quartier.
De la résidence à l’ilot, du « no man’s land » au parc urbain.
Les bâtiments sont reconfigurés en entités identifiables, la logique des résidences laisse la place à celle des ilots.
Le travail sur les façades visant au départ à isoler thermiquement les immeubles et permettre d’améliorer leur consommation énergétique, s’est révélé une véritable occasion pour une double approche de la réhabilitation.
D’un côté il a été possible de générer des espaces en plus, des pièces de vies supplémentaires, des loggias et des balcons davantage spacieux ; de l’autre ce travail a défini une nouvelle architecture, bien distincte pour chaque îlot.
Ce projet essaye de redonner une identité, et surtout de la fierté.
Il a été réalisé en site occupé.
Avec 10% de la surface du territoire communal de la ville, le quartier Génicart accueille 50% de la population totale de Lormont, soit près de 10 500 habitants.
Ils ont tous été informés, ils ont tous d’une manière ou d’une autre participé à ce processus.
Il s’agissait tout d’abord de gagner leur confiance, en suite de mobiliser leur énergies, pour que ils sentent leur quartier comme un lieu spécial, unique et non une cité comme les autres.
Nous croyons que le message est passé. Depuis la fin des travaux, le quartier est totalement transformé, et sa vie absolument changée…nous avons l’impression que la bataille (pour le moment) a été remportée.
Umberto Napolitano
Benoit Jallon "