« La réalité physique de ce qui nous entoure, l’architecture, est la mémoire construite de l’action humaine. L’édifice est l’élément premier sur lequel se greffe la vie. »
Aldo Rossi [1]
L’architecture n’est pas à elle-même sa propre fin ; elle se situe plutôt au début d’un quelque chose, initiant une histoire entre un lieu et ceux qui le vivent. La différence avec les arts plastiques est précisément là : les projets sont habités, utilisés, vécus et cette condition fait partie intégrante de la stratégie qui fonde l’identité même des projets.
Les archives EDF se situent à la lisière de cet énoncé, et posent de fait une question fondamentale : Peut-on fabriquer une architecture avec une fonction mais presque sans usage ? Est-ce qu’une boîte ouverte tous les 5 ans, surveillée par une dizaine de personnes tout au plus, est encore une architecture ?
Nous avons essayé de répondre positivement à cette question ; le fil conducteur de notre quête était d’élargir le « champ d’actions » au maximum, de sortir l’objet architectural de son territoire physique proche, de l’inscrire dans un environnement plus large. De là provient l’idée fondamentale de « méta-territoire » qui nous a conduits à concevoir l’enveloppe comme un dispositif de réinvention visuelle du paysage, de reconnexion par le regard des éléments, au-delà de leur proximité physique ou matérielle.
« Puisqu’il nous semble impossible d’intégrer avec douceur et succès un volume si massif et si disproportionné dans le paysage, nous laisserons à l’inverse le paysage rentrer dans le volume et la nature participer spontanément à la vie et à l’expérience du Centre d’Archive. »
Dans cet esprit, notre proposition de bâtiment territorial intègre et englobe dans son enveloppe des éléments du paysage : boisements, prairies, merlons, pièces d’eau, ciels. Autant d’évocations plus ou moins explicites du territoire de la Meuse, autant de motifs reconnaissables, familiers. Le processus d’intégration s’effectue en passant de la planéité d’une façade et d’une enveloppe à la création d’un monde tridimensionnel où lumière, ombre, matière et nature participent toutes ensembles à la définition d’une expérience unique. Le principe est de prolonger le paysage pour donner l’illusion d’appartenir à cette géographie, d’atomiser la masse en de multiples entités. Le bâtiment n’est pas seulement destiné aux quelques gens qui en ont l’accès, mais à tous ceux qui, pour quelque raison que ce soit, le perçoivent. Vu l’étendue et la géographie des alentours, ces gens sont nombreux.
Le Landscape design reprend d’ailleurs cette logique ; les jardins ne sont plus une composition, un arrangement dessiné de couleurs et de formes, mais une superposition d’éléments reconnaissables, encore identifiés et familiers. À la manière du peintre impressionniste qui travaille « sur le motif », et parvient à traduire, plus qu’une image, tout un territoire sur sa toile, notre travail visait à révéler sans mimer le paysage de la Meuse sur le site choisi, à en dresser un tableau, tableau autant fidèle que subjectif.
In fine le Centre d’Archive peut se lire comme le tombeau d’Adolf Loos, « Lorsque dans la forêt nous rencontrons une tombe de six pieds de long et trois de large, en forme de pyramide, façonnée à la pelle, nous devenons soudains sérieux et quelque chose murmure en nous ; ici est enterré quelqu'un. C'est cela l'architecture. » [2]