AOUT
Comme probablement tout architecte, j’ai l’habitude d’amener en vacance un peu de travail. J’écris donc ces quelques lignes sur un bateau qui me transporte de Syros à Patmos en Grèce, en plein mois d’aout. C’est plutôt une chance d’être là, puisque la Grèce est à mes yeux l’endroit le plus indiqué pour parler de lumière et d’architecture. Henri Miller dans le colosse de Maroussi disait que ce pays a bénéficié des faveurs spéciales des dieux « et la lumière –cette lumière surnaturelle propre au monde méditerranéen – l’emportera toujours sur tout. » Cela fait maintenant une vingtaine d’années que je viens ici et ponctuellement chaque fois ses mots me reviennent à l’esprit : « la lumière l’emportera toujours sur tout ».
J’ai essayé, il y a quelque temps, avec des amis de décrypter ces lignes, j’en ai même fait l’objet de débats de comptoir, et à l’unisson les retours que j’avais étaient loin de mes attentes: « la lumière grecque est unique, c’est en l’observant que l’homme se sent le plus proche de dieu ».
Mon côté scientifique et rationnel m’a empêché pendant un moment de donner à ces échanges leur juste valeurs, mais je dois ici admettre qu’après coup c’est ce qu’il y a de plus proche de ma vision. Je crois profondément que l’architecture est lié à la mémoire, à la manière de la décrypter, de la fabriquer, de la transmettre. J’ai dû inconsciemment subir le charme de la Grèce et probablement ces voyages ont influencé profondément la manière dont je considère aujourd’hui la lumière dans nos projets.
J’aime en effet penser que il y a quelque chose d’incontrôlable dans la lumière, comme si elle avait une âme, une intelligence propre qui en fonction de notre capacité et attitude à l’observer se révèle et décide de se poser sur une architecture et pas sur une autre, de magnifier un objet, d’en cacher un autre.
Cette histoire tiens à une myriade de petit détails et notre rôle est celui d’essayer de fabriquer des espaces qui « lui » plaisent, ou elle puisse habiter, vivre et s’exprimer.
L’architecture des iles grecques, semble avoir été dessinée pour me conforter dans cette idée, et à travers son vocabulaire réduit et essentialiste offre des toiles blanche où matière, volume et géométrie se révèlent et existent en fonction du soleil.
Un millions de variations et d’états chaque fois uniques s’offrent à nos yeux malgré l’extrême simplicité des formes, et l’unique matière dominante (l’enduit à la chaux). Chaque jour devient ici un nouveau spectacle. Ce matin par exemple, le soleil bas, rose, caressait les objets, rendait doux leurs contours, réveillant les villages pour nous inviter tous à la merveille du nouveau jour. Les ombres étaient légères, floutés, délicates, la lumière amenait la vie et prenait son temps pour le faire. Quelques heures ont suffi pour que la sphère monte plus haut, s’impose devenant franche, forte, vraie ; et les ombres noires, nettes et la lumière blanche. L’architecture comme « jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblées sous la lumière » est devenue tangible: les formes nous ont dévoilée leur identité rendant claire et visible leur nature. Tout était en place : les rapports de forces et de tensions entre les choses, le jour, le contrejour, les espaces qui nous protègent, ceux qui nous exposent, les échelles. C’est le moment de la journée où l’on peut faire recours à la géométrie pour se rassurer et expliquer les phénomènes qui nous entourent. Tout a l’air rationnel.
Cela dure peu de temps ; pour nous rappeler que nous sommes que des hommes, et que nos définitions des choses sont des tentatives de pouvoir les posséder, la lumière se libère en suite de la géométrie, le soleil perd d’intensité, devient orange, violet, et de nouveau cache l’essence des choses dans un amalgame incroyablement pittoresque. L’ombre laisse la place au reflet, le contraste à la texture.
L’architecture est seulement un des supports de cette danse, au même titre que l’air, la nature, la peau, et en général tout ce qui nous entoure. Ce qui rend un lieu magique est surement l’alchimie indéfinissable entre tous ces éléments. Alors plutôt qu’essayer de contrôler, de capturer la lumière, il faut la laisser danser, suivre ses humeurs, imaginer de lui faire plaisir, apprendre à observer la manière dont elle bouge à proximité, passer du temps avec elle.
SEPTEMBRE (15 jours après mon retour à Paris) :
Je relis ces quelques lignes et je m’aperçois de l’état « cathartique » dans lequel je tombe chaque fois que je mets les pieds dans ce pays. Cela génère dans mes pensées une forme de romantisme aigue, qui s’estompe ou se limite une fois à Paris. J’ai décidé tout de même de donner ce texte, il n’est surement pas académique, mais c’est ma manière de me rappeler que dans la racine d’architecture il y a le mot ἀρχη (arché) qui trouve dans la Metaphysique d’Aristote (V, 1, 1012b-1013a) la définition qui s’est conservé jusqu’à aujourd’hui : le principe des choses, la divinité.